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Roussier, Pierre-Joseph. Traité des accords, et de leur succession, selon le système de la basse-fondamentale.
Paris, Bailleux, Duchesne, Dessain, 1764.


Fac-similé 1972.



Contrairement à ce que soutient CHRISTENSEN (1992:103 et note 38), Roussier n'est certainement pas partisan de la Règle de l'octave. C'est un ramiste convaincu, remarquablement systématique. Il critique sévèrement la Règle de l'octave : ceux qui étudient l'harmonie, écrit-il, « verront [...] que les accords prescrits par la Regle de l'Octave (Regle qu'ils auront peut-être quelquefois à combattre, puisqu'elle est encore l'unique pour bien des gens), ils verront, dis-je, que ces accords ne sont fondés que sur des cas particuliers, représentant telle ou telle harmonie donnée, souvent bonne, quelque fois mauvaise; que par conséquent cette Regle n'étant jamais, qu'on me permette de le dire, que la même chanson harmonique, & d'une harmonie qui n'est pas toujours exacte, elle ne peut qu'être un modele borné & défectueux pour le Compositeur, & un guide trompeur ou insuffisant pour l'Accompagnateur, lorsqu'il a à exécuter de la musique dont l'harmonie & la modulation font le principal caractère ». Il ajoute une remarque particulièrement intéressante : « Quant aux préceptes de ceux qui n'en sont pas même encore à la Règle de l'Octave (les faiseurs de sixtes), on sent bien de quelle conséquence il seroit de les écouter, à moins que ce ne fût pour se raffermir dans les Principes de l'harmonie » (p. 121-122, note 47). Les « faiseurs de sixtes » pourraient bien être les tenants des règles des sixtes qui ont précédé la Règle de l'octave (voir ARLETTAZ e.a., 1996).

Roussier est fonctionnaliste avant la lettre : « La Tonique, ou Note du Ton, (le mot Ton pris ici pour Mode) la Tonique, dis-je, est celle sur laquelle roule principalement une Piece de musique, & par laquelle cette Piece finit; la Dominante est la quinte au-dessus de la Tonique, & la Sous-dominante en est la quinte au-dessous (ou quarte au-dessus). L'emploi de ces deux dernières notes est d'annoncer la Tonique dans les divers repos qu'on veut faire sur elle. Ce caractère néanmoins, ainsi que celui de la Tonique, dépend de l'Harmonie, c'est-à-dire, de certains Accords qui leur seront propres » (p. 26-27). C'est à tel point que Roussier refuse d'appeler « dominante » le cinquième degré, ni « tonique » le premier, parce qu'il faudrait supposer alors qu'ils ne peuvent porter d'autre accord que ceux « qui leur donnent ce caractère » (c'est-à-dire cette fonction) (p. 28-30 et note 6). Il souligne que, contrairement à ce que prétend la Règle de l'octave, on ne peut assigner la forme des accords en raison du degré sur lequel ils se construisent; au contraire, c'est la forme qui détermine le ton et donc le degré : « Toute Note, qui porte l'Accord-parfait, est Tonique. REMARQUE. Par l'énoncé de cette derniere Regle, on ne doit entendre ni ici, ni par-tout où je donnerai de semblables regles, que ce soit la note qui determine l'Harmonie; c'est au contraire l'Harmonie, l'Accord, qu'on fait sur une Note, qui donne à cette note son caractere, ou lui assigne un rang dans le Ton » (p. 34-35).

De manière très ramiste encore, Roussier considère qu'il y deux types de dissonance : la sixte, ou « Dissonance-majeure » et la septième ou « Dissonance-mineure » (p. 38 sq.), qui correspondent évidemment, le premier, à la sous-dominante, le second à la dominante (au sens ramiste toujours).

Cette façon de concevoir le « caractère » des notes et des accords n'est possible que moyennant une conception générale très « modulante ». Roussier indique que les modulations se font normalement vers les tons voisins (dominante, sous-dominante, relatif) : c'est un moyen, probablement, de contrôler le chromatisme. En ce qui concerne la progression, il réduit l'interdiction des mouvements conjoints de la basse fondamentale au cas des accords parfaits : « Quoique cette sorte d'harmonie puisse être tolérée à certains égards, & avec certaines précautions qui peuvent la justifier, il vaut mieux l'abandonner à ceux qui n'ayant aucune connoissance des Principes de l'harmonie moderne, ne peuvent profiter de tous les moyens qu'elle fournit, pour se passer d'une pareille succession » (p. 129). Ce texte s'accompagne d'une note (note 49) assez remarquable : « C'étoit l'harmonie du quinzième siecle, où l'on n'avoit que des accords-parfaits à employer, soit que la Basse marchât par des intervalles, ou par des degres conjoints [...]. Je voudrois pouvoir comprendre ce que signifient, dans une Basse fondamentale, des notes qui ont toutes un caractere de toniques, & dans le ton desquelles ont n'est cependant point, pour obliger mon oreille à s'accoutumer à cette insipidité d'harmonie ». Roussier, bien sûr, veut dire le XVIe siècle, plutôt que le XVe, mais le mouvement conjoint de la basse fondamentale et une relative insipidité qui en résulte sont effectivement des caractéristiques du style de cette époque. Les règles de progression, combinées avec les règles de modulation, mériteraient un examen systématique.

Roussier fait allusion, de manière plutôt critique, aux huit tons ecclésiastiques (p. 153, note *). Il plaide pour le tempérament égal (p. 152 sq.).