FERMER

Zarlino, Gioseffo. Le istitutioni harmoniche. Venezia, 1558.


Fac-similé, New York, 1965. 2e édition, Venezia, 1573; fac-similé, Ridgewood, 1966.
Traduction anglaise de la IVe partie par V. Cohen, On the modes, New Haven, Yale University Press, 1983.



Pour Zarlino, les deux parties de la pratique musicale sont le contrepoint (IIIe partie du traité) et la modalité (IVe partie).

Il modo anticamente era vna certa & determinata forma di Melodia, fatta con ragione & con arteficio, contenuta sotto vn determinato & proportionato ordine de Numeri & di Harmonia, accommodati alla materia contenuta nell'Oratione. [...] Diremo con Boetio, che Modo è vna certa Costitutione in tutti gli ordini de voci, differente per il graue & per l'acuto, & tale Costitutione è come vn corpo pieno di modulatione, la quale hà l'essere dalla congiuntione delle Consonanze; si come è la Diapason, la Diapasondiapente, ouero la Disdiapason. (p. 364-365) Le mode était autrefois une forme certaine et déterminée de la mélodie, faite avec raison et avec art, contenue dans une proportion déterminée de nombres harmoniques, adaptés au sujet de l'énoncé. [...] Nous dirons avec Boèce que le mode est une constitution certaine dans tous les ordres des voix, différente au grave et à l'aigu, et que cette constitution est comme un corps plein de [modulation], dans laquelle se trouve l'essence de la conjonction des consonances, comme l'octave, la douzième ou la double octave.

Zarlino souligne l'ethos des modes (IVe partie, chap. 5). Il démontre qu'il ne peut y avoir que douze modes, combinaisons des espèces de quarte et de quinte (chap. 10-11). Il fait dans une certaine mesure la distinction entre modes à tierces et sixtes majeures ou mineures sur la finale et le Ve degré : voir Lester (1989:13 sq.). Il ne semble pas mettre en question le caractère modal de la polyphonie. Le classement modal est présenté comme normatif pour le placement des cadences :

Le Cadenze si trouano essere di due sorti : cioè Regolari, & Irregolari. Le Regolari sono quelle, che sempre si fanno ne gli estremi suoni, o Chorde delle Modi; & doue la Diapason in ciaschedun Modo harmonicamente, ouero arithmeticamente è mediata, o diuisa dalla Chorda mezana; le quali Chorde sono le estreme della Diapente & della Diatessaron; nelle quali è diuisa : simigliantemente doue la Diapente è diuisa da una Chorda mezana in un Ditono & in un Semiditono & per dirla meglio; oue sono li ueri Principij & naturali di ciascheduno Modo : l'altre poi facciansi doue si uogliano; si chiamano Irregolari. (p. 392) Les cadences sont de deux sortes : régulières et irrégulières. Les cadences régulières sont celles qui se font toujours sur les sons ou les cordes extrêmes des modes, et où l'octave de chaque mode est divisée harmoniquement ou arithmétiquement par la corde médiane ; ces cordes sont les extrêmes de la quinte et de la quarte en lesquelle elle est divisée ; de même où la quinte est divisée par une corde médiane en une tierce majeure et une tierce mineure ; ou pour mieux dire, où se trouvent les principes véritables et naturels de chacun des modes. Les autres, que l'on fait où l'on veut, s'appellent irrégulières.

Zarlino discute aussi la difficulté de l'attribution modale, en particulier dans les modes de mi (mais ne s'agit-il pas plus précisément de la difficulté de différencier le 3e mode du 4e?), et de l'impossibilité de se fonder exclusivement sur la finale :

Quando adunque haueremo da far giudicio, di qualunque si voglia cantilena, noi ueremo da considerarla bene dal principio al fine, & vedere sotto qual forma ella si troua esser composta : se sotto la forma del Primo, o del Secondo, o di qualunque altro Modo : hauendo riguardo alle Cadenze, le quali danno gran lume in tale cosa : & dapoi far giudicio, in qual Modo ella sia composta : ancora che non hauesse il suo fine nella sua propria Chorda finale; ma si bene nella mezana, ouero in qualunque altra, che tornasse al proposito. [...] Ma si dè auertire, ch'io nomino la forma del Modo, la Ottaua diuisa nella sua Quinta & nella sua Quarta; & anco queste due parti, che nascono dalla diuisione harmonica & arithmetica, che si odono replicate molte fiate ne i propij Modi. Quando adunque haueremo da comporre, potremo sapere da quello, che si è detto, il modo, che haueremo da tenere nel far cantare le parti della cantilena; & nel porre le Cadenze a i luoghi conuenienti per la distintione delle parole. (p. 416-417) Quand donc nous aurons à juger de quelque mélodie, il faudra bien l'examiner de son début à sa fin et voir sous quelle forme elle est composée, si c'est sous la forme du premier, ou du deuxième, ou de quelque autre mode, en considérant les cadences, qui donnent une grande intelligence de ces choses , et déterminer ensuite en quel mode elle est composée, même si elle n'avait pas sa fin sur sa corde finale propre, mais bien sur la corde médiane ou sur n'importe quelle autre qui se serait révélée appropriée. [...] Mais il faut être averti que je nomme forme du mode l'octave divisée en sa quinte et sa quarte et que ces deux éléments, qui naissent de la division harmonique et arithmétique, s'entendent souvent répétés dans les modes propres. Lorsque nous aurons à composer, nous pourons connaître le mode de ce qui a été dit, que nous aurons à respecter dans le chant des parties de la cantilène et dans le placement des cadences aux endroits qui conviennent pour l'intelligence des paroles.

Le chapitre 31 indique encore que le ténor et le soprano doivent être du mode nominal, la basse et l'alto de son collatéral. Les voix sont normalement réparties de demi-octave en demi-octave; la tessiture de chacune ne devrait pas dépasser la dixième ou la onzième, la tessiture totale ne doit pas dépasser la dix-neuvième ou la vingtième. Sur les caractères de l'accord majeur et de l'accord mineur, déterminés par la position de la tierce à l'intérieur de la quinte :

quando si pone la Terza maggiore nella parte grave, l'Harmonia si fà allegra; & quando si pone nell'acuta si fà mesta. (IIIe partie, chap. 31) Quant la tierce majeure se situe au grave, l'harmonie se fait allègre et quand elle se pose à l'aigu, elle se fait triste.

(Voir DAHLHAUS, 1955:291.) Auparavant, le même jugement avait été porté sur les tierces et les sixtes majeures, vive & allegre, accompagnate da molto sonorità (vives et allègres, accompagnées de beaucoup de sonorité) ou mineures, quantunque siano dolci & soavi, declinano alquanto al mesto, over languido (qui sont quelque peu douces et suaves, inclinant vers le triste ou le languide) (IIIe partie, chap. 10; DAHLHAUS, 1955:293, 1967/1993:117), puis sur les modes eux-mêmes :

... sono alcune Cantilene, le quali sono uiue & piene di allegrezza; & alcune altre per il contrario, sono alquanto meste, ouer languide. La cagione è, che nelle prime, spesso si odono le Maggiori consonanze imperfette sopra le chorde estreme finali, o mezane de i Modi, o Tuoni, che sono il Primo, il Secondo, il Settimo, l'Ottavo, il Nono, & il Decimo; come uederemo altroue : i quali Modi sono molto allegri & viui [...]. Ne gli altri Modi poi, che sono il Terzo, il Quarto, il Quinto, i[l]Sesto, l'Vndecimo, & il Duodecimo, la Quinta si pone al contrario (etc., ibid.). Il y a des cantilènes qui sont vives et pleines d'allégresse, et d'autres qui au contraire sont quelque peu tristes ou languides. La raison en est que dans les premières, on entend souvent les consonances imparfaites majeures sur les cordes extrêmes, finales ou médianes, des modes ou tons, qui sont le premier, le second [ut authentique et plagal], le septième, le huitième [fa], le neuvième et le dixième [sol], comme nous le verrons ailleurs ; ces modes sont très allègres et vifs [...]. Dans les autres modes, le troisième, le quatrième [], le cinquième, le sixième [mi], l'onzième et le douxième [la], la quinte se pose au contraire.

Il faut souligner que tout ceci se trouve dans la IIIe partie de l'ouvrage, consacrée au contrepoint, et pas dans la IVe qui concerne la modalité. Sur l'importance de la basse comme base et support des autres parties, voir le chapitre 58.